lundi 16 mars 2015

L’expérience d’une Académie régionale d’éducation racontée par son directeur

Etablissements publics dotés de la personnalité juridique, les Académies régionales d’éducation et de formation ont-elles pu, 12 ans après la nomination de leurs directeurs, assumer cette autonomie ?

C’est le gouvernement qui trace les grandes lignes de sa politique éducative et les décline sous forme de projets, ce sont les Académies régionales d’éducation et de formation (AREF) qui sont chargées de leur mise en œuvre au niveau local. Cela s’appelle décentralisation-déconcentration des pouvoirs. C’est en 2000 qu’un dahir a fixé le nouveau statut juridique de ces académies, il les a érigées en établissements publics dotés de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, et les a chargées de «la mise en œuvre de la politique éducative et de la formation, compte tenu des priorités et des objectifs nationaux établis par l’autorité de tutelle». Mais que sait-on exactement de cette expérience des AREF, voilà 12 ans que leurs 16 directeurs (correspondant aux 16 régions du pays) ont été nommés ? Ces derniers ont-ils pu assumer en toute autonomie, comme le stipulent les textes juridiques, la gestion régionale de la politique d’éducation et de formation dictée par l’Etat au niveau central? Tijania Fertat, la directrice de l’AREF de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër (RSZZ), vient de livrer son témoignage dans un livre intitulé «Pour une décentralisation éducative»*, sur les dix ans qu’elle a passés à la tête de cette AREF, l’une des plus importantes du Royaume. Cette académie c’est en effet un demi-million d’élèves,

20 000 fonctionnaires, 650 établissements d’enseignement public, 383 établissements privés.

Un budget qui a atteint en 2008-2009, grâce au renflouement du plan d’urgence, plus de 630 MDH. C’est dire que la tâche n’était pas aisée pour elle, et l’auteur de reconnaître d’emblée dans l’introduction à ce travail que l’exercice de cette autonomie n’a pas été de tout repos.

Que tout dépend de la personnalité du directeur de l’Académie, mais aussi de la volonté du centre à Rabat, à savoir le ministère de tutelle, de laisser exercer ou non cette autonomie : son espace «s’élargissait, rétrécissait ou disparaissait selon les décideurs politiques et selon la vision et la capacité du directeur à tracer les limites de cette autonomie», annonce sans détour l’auteur (voir entretien). Armée d’une riche expérience en tant qu’inspectrice de philosophie, mais aussi de son passage à la tête de la délégation de Moulay Rachid-Sidi Othmane à Casablanca, la directrice de l’Académie de Rabat et région a fait siennes deux devises dans la gestion de cet établissement public : un travail d’équipe avec ses collègues, et le partage de sa vision avec ses collaborateurs pour une meilleure approche des problèmes.

L’enseignant est le pivot du système éducatif, sa formation et son recyclage sont indispensables

Cette autonomie de gestion en équipe a démarré pour elle d’abord au niveau de ce qu’elle a appelé la «rationalisation» des ressources financières de l’Académie. Non sans succès. A commencer par la consommation de l’eau et de l’électricité. Chiffres et tableaux à l’appui, Mme Fertat se félicite que la dette de la REDAL, grâce à un système de vérification informatique qu’elle a installé et qui élimine des anomalies et des chevauchements, a substantiellement baissé durant son mandat de dix ans. Elle est passée de 43 à 23 MDH.

Toujours dans la même logique de rationalisation des ressources, la directrice de l’Académie a opté pour certains travaux, comme ceux d’étanchéité des établissements, pour le marché au rabais comme mode d’appel d’offres. Les gains étaient intéressants.

La gestion d’une AREF ne doit pas, en principe, et selon le principe de l’autonomie régionale, être à la charge exclusivement du seul ministère de l’éducation nationale (MEN). Si son directeur peut tisser des liens de partenariat avec le monde économique et les agences de développement et gagner quelques centaines de milliers de dirhams, personne ne l’en empêche, de par même son statut. Autant d’ailleurs que le président d’une université. C’est ce qu’a essayé (comme elle le raconte) Mme Fertat, en sauvant du délabrement quelques établissements scolaires, après avoir mené une campagne de sensibilisation sur le sujet, autour de photos «choquantes» d’établissements, jugés dans un état de «délabrement avancé». Pour ce faire, la directrice a signé des conventions avec la préfecture et la municipalité de Salé, mais aussi avec l’ADS pour le branchement de 36 écoles à Salé, avec un budget de 1,8 MDH. «Suite à cette convention, l’ADS a créé un fonds d’aide pour l’AREF, dont l’objectif était la réhabilitation des espaces scolaires», se félicite la directrice. En 2008, ajoute-t-elle, grâce à ces partenariats, «la situation des établissements fut améliorée, mais le besoin en réhabilitation était grand, et nécessitait des moyens financiers énormes». Ces moyens, le plan d’urgence décrété sous Ahmed Akhchichine, une année plus tard, va les apporter. De près de 181 MDH en 2006-2007, le budget de l’AREF de RSZZ est passé à plus de 632 MDH en 2008-2009. Ce qui lui a permis le renouvellement du mobilier de bureau des établissements scolaires. Mais pas de n’importe quelle manière, elle l’a fait de sorte qu’il soit plus esthétique pour apporter de la gaité dans les classes. Un produit plus résistant, et de fabrication marocaine pour réduire la facture. «Le tableau que l’école a toujours utilisé, en contreplaqué, est fragile et ne résiste pas aux aléas du temps ni au vandalisme. Les arrières cours regorgent de tableaux détériorés et inutilisables», se désole la directrice.

Une autre initiative de la directrice de cette Académie, qui dénote elle aussi d’une volonté d’innovation et d’autonomie pour tout le bien de l’école publique marocaine: le développement de partenariats, non seulement avec des organismes marocains, mais aussi étrangers. Pour améliorer la qualité de la vie scolaire et encourager de l’animation, l’Académie a lancé un ambitieux projet de création au sein de chaque établissement scolaire d’un «Centre d’animation, de documentation et d’information pédagogique (CADIP)». Des lieux de consultation documentaire, mais aussi d’animation et de formation à la recherche documentaire. Il fallait donc des professeurs-animateurs formés à cette tâche, capables d’animer diverses activités. Grâce à la coopération inter-académique qui la lie à l’Académie de Lyon, l’Académie de Rabat et région a envoyé en France, en 2009, un groupe de professeurs pour des visites d’étude et de stage. La courtoisie est rendue, puisque des professeurs de Lyon ont été invités à animer des sessions de formation à Rabat. Dans quatre sphères d’activité : le pédagogique, l’éducatif, le culturel et le social.

En faisant cela, la directrice est consciente que l’apprenant, dans n’importe quel domaine, fût-ce celui de l’animation culturelle, est au centre du système éducatif. Pour elle, et l’expérience du plan d’urgence l’a démontré, les seuls moyens financiers ne suffisent pas pour améliorer la qualité de l’école publique marocaine.

En conclusion au chapitre qu’elle a consacré à ce plan d’urgence dans son livre-bilan-témoignage, elle considère que l’élément humain est le pivot de tout le processus de formation, et sa «mise à niveau préalable, à même de supporter et de conduire toute réforme», est fondamentale. Au-delà de l’autonomie des AREF, elle appelle ainsi à une «habilitation à la fois professionnelle et éthique des agents de la réforme que sont les gestionnaires et les enseignants». En cela, Mme Fertat rejoint l’appel du Conseil supérieur de l’enseignement et de l’actuel ministre de l’éducation nationale. Les deux appellent à la formation et au recyclage de l’enseignant, pour qu’il devienne un vrai éducateur, un vrai pédagogue.

Editions Hammouch, 260 pages,
préface de Abdellah Saâf

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